Dans une combe discrète du cimetière de Balvise, s'épanouit la tombe d'Amil Bastahan, un lointain pataphysicien qui aurait promu païennement la multiplication des petits pains. Les citoyens occultes de la cité recouvrent sa tombe de fleurs.
Beniel, ce « lever de lune anticonformiste », comme l'avait appelé Frastic, attaquait dans l'œuf l'indolence de Balvise pour marquer l'histoire et l'harnacher au carrosse de l'avenir ou suivant le point de vue pour faire de la cité une république bananière. Il alla chercher un professeur de philosophie dont les articles avaient décorner les boeufs dans la gazette. Il avait auparavant canoté dans toutes les couches de la société. Il s'appelait Maltuque. Il professait depuis toujours, à contre-courant de la pensée inique la plus répandue, un retour au pragma, une rationalisation permanente des facteurs de production. Il rêvait de construire de nouveaux idéaux pour la jeunesse afin de lui redonner espoir par un retour inspiré vers la communauté atavique loin de la bosse du commerce dont chacun en était conscient, faisait flamber les inégalités sociales. Le cabinet de Beniel était constitué : à gauche Frastic le rebelle, à droite, devenu conseiller économique par la force des choses ou par sa profession d'humaniste affiché, Maltuque le sage. Le valeureux Beniel n'aurait désormais de cesse d'éveiller la créativité de ses ouailles ou selon le point de vue de stimuler la médiocrité. Afin de marquer cette nouvelle ère, Beniel fit disparaître le Goitre de Saint-Jacques qui ridiculisait la cité. Après avoir réuni toutes les associations, ou selon le point de vue fait ramper celles-ci sous la dictée de Frastic, il fit remplacer le Goitre par un patchwork féminin. Silhouette telle qu'on la trouve parfois à l'entrée des ports, la sirène enluminée célébrait l'universalité à travers des seins nus et multicolores, un ventre de mappemonde et des écailles phosphorescentes que les langues occultes baptisèrent bientôt la marâtre de Saint Jacques. On dispersa les restes de Goître à la décharge et la nuit vit quelques ombres rassembler dévotement, qui un bras, qui un morceau de jambe, les débris de la statue.