Je cherche dans l'abondance californienne, terre de gloire des
entreprises, un signe distinctif de cet Eldorado. Une différence infime qui permettrait de reconnaître un Californien heureux. Je ne vois rien. L'impression de croiser les mêmes gens qu'en
Europe, des enfants comme ailleurs. La Silicon Valley est une vaste étendue, traversée d'avenues toutes droites et colorées de multiples enseignes.
Dans les bois sont cachées ces entreprises aux doigts d'or qui
font sa réputation. La montagne au loin dans la brume laisse apparaître ses flancs. Vera à Alain : " À Ipanema au Brésil, là-bas tu trouveras une femme..."
J'apprends qu'en Californie, jamais on ne se baigne car l'eau est
trop froide. J'apprends que les communications des téléphones portables sont très chères comme le reste. Que la basket est un mythe car ici on est assez bien habillé lorsqu'on se rend au travail.
J'apprends que le salaire horaire est de 6$ que les impôts sont de 35 % que les Américains n'aiment pas la technique et se réservent des postes de management. L'essence a doublé ces dernières
années et je vois que même les blacks ont le ventre rond. Vera : "j'aimerais avoir un bateau au port juste pour la frime... pour que les gens le sachent. Ne l'utilisez qu'une fois par an. Je rêve
de Big-Sur qui est à 2 h au sud. Effet d'inertie de groupe, nous n'irons pas sur ces falaises de légende où s'épanche le Pacifique ;
Le restaurant fait face à la baie de Monterey. Sur la plage, on
aperçoit de grosses mouettes, des loutres virevoltant entre algues et vagues, des surfeurs à l'essai. Vera demande où va l'eau des marées. "Elle va sur la lune hormis les jours d'éclipsé." lui
répond-on. Pendant ce temps sur la plage, un plongeur aux jambes fortes et puissantes, harnaché d'une énorme bouteille s'apprête au bord de l'eau. Mais de profil son ventre arrondi est aussi
large que sa taille. Bande dessinée vivante. Les plongeurs descendent à reculons dans les eaux en se tenant la main. En face de Monterey, il existe une faille, que dis-je un canyon de 3000 miles
de profondeur. Vera: " Il faut aller à Hollywood...6 h de route.
Sur le port du vieux Monterey, on entend le cri des otaries. Cela
ressemble à des aboiements. Une otarie tente de se hisser au-dessus de l'eau pour atteindre une rampe du ponton baignée de soleil. Les pélicans sont les canards de la Californie. Malgré leurs
airs patauds ils planent à quelques centimètres au-dessus de l'eau.
Un orchestre bolivien émet une flûte dans la ruelle des
souvenirs. Les baraquements de pêche sont montés sur pilotis. Dans une vitrine, une machine au bras articulé manipule un marsh-mallow sans jamais s'arrêter.
Un Bris à bac dans les boutiques, des enjoliveurs d'interrupteur,
des colliers de perles et des requins en plastique, des chaussettes et des teeshirts.
À Monterey en 1879, Robert Louis Stevenson imaginait File au
trésor. Steinbeck s'inspira largement de la vie à Monterey. Des pêcheurs aux traits burinés racommodent d'immenses filets près du parking. Retour
une dune affiche " We miss U2 ".
À Santa Cruz sur la jetée en cul-de-sac où les touristes vont et
viennent, les commerçants ont le culte du poulpe. Des géants pendus au plafond, des miniatures en plastique. Les nuits sont douces.
Dimanche 21 janvier- Visite de San
Francisco.
Lever 7 h. Fatigué, j'abuse du petit déjeuner... Des fraises, des
myrtilles comme des bigarreaux, une salade de melon. N'est-ce pas un crime que de détourner ainsi les lois des saisons ?
Nous filons ce dimanche matin sur Fryes, un gigantesque
supermarché de l'électronique. PC, logiciels, prises électriques et toutes sortes de matériel... Nous demandons quelques renseignements mais les vendeurs se défilent tous un à un. Visiblement ils
n'y connaissent rien et ne peuvent nous aider en aucune manière. Si tu as besoin de quelque chose... Débrouille-toi tout seul ! semblent-ils tous nous dire le regard impuissant... D'ailleurs
n'est-ce pas un peu la devise du pays ?
Sur la route de San Francisco. Je règle ma vitesse grâce au
tempomat sur les 65 mph officiels et nous nous laissons glisser dans le flot dominical. Le Bay Bridge offre ses arcades de ferraille grise sur plusieurs kilomètres... Deux niveaux pour le double
sens. Une station vers Treasure Island où l'arc vient reprendre son élan avant de terminer sa course en pleine ville, au pied des gratte-ciel.
La ville de San Francisco est basse et n'impose pas l'ombre de
ses buildings. On devine beaucoup de maisons et de petits immeubles tout en couleurs. Rose, vert, crème, San Francisco aime la couleur. Nous traversons rapidement la ville pour joindre le Golden
Gâte qui rejoint les hauteurs au nord de la baie. Le Golden Gâte est rouge. Rouge. Peindre et repeindre encore. D'un bout à l'autre depuis sa construction en 33, il subit ce labeur sans jamais
discontinuer. Un petit arrêt sur un point de vue nous laisse embrasser une grande partie de la baie. Alcatraz la solitaire. C'est Treasure Island imbriqué dans le pont que j'avais confondu avec
celle-ci dans la nuit merveilleuse où l'avion avait fait le tour de la baie. De petits cabotins voguent à nos pieds. Ce point de vue est un rendez-vous dominical pour les familles « franciscaines
». Thierry désire nous faire partager ses impressions de Sausalito. Je laisse sur la gauche la route de la Napa Valley avec quelques regrets pour descendre dans le village résidentiel de
Sausalito. Un riche lieu de villégiature donnant sur la baie. Les maisons sont construites sur les hauteurs pour dominer la baie. Par une pente de 25 %, nous montons droits nous perdre dans les
ruelles d'aspect méditerranéennes. Des maisons en bois s'enchevêtrent au milieu des arbres au large tronc. Parmi cette végétation luxuriante, on devine à chaque détour l'aspiration de ces toits à
s'élever. On a monté des terrasses sur pilotis pour accrocher au loin un morceau de vue sur la baie. Toute l'architecture, rendue légère grâce au bois traduit cet acharnement à atteindre les
hauteurs, à obtenir un angle de vue unique sur la mythique baie. La Californie, même au cœur de cet hiver respire un brin de douceur et d'été. Le temps est brumeux mais il fait chaud...
Redescendus en bas, sur l'artère centrale et commerçante qui longe la mer, je goûte un milk-shake, un vrai.
Plein de mousse et frémissant dans son volume. Ma chère et douce
Clo, lorsque je parcoure ses rues, je t'imagine avec moi. Sausalito où se mêlent ces verts jardins, ses petites maisons simples au milieu de la végétation luxuriante t'auraient ravi. Tu y serais
encore à parcourir ses rues intrépides...
Retournons à San Francisco. Nous arpentons quelques-unes de ses
ruelles raides à toucher le ciel. San Francisco est une ville un tant soit peu loufoque. Il n'y a rien de carré dans l'assemblage des bâtiments. La régularité n'existe pas. Et pourtant. La
découpe des avenues s'est voulue taillée au cordeau. Celles-ci ont dû être imaginées sur un bout de papier avant d'être construites par un bâtisseur qui voyait délibérément le monde à plat. Les
virages n'existent pas. On a tracé des rues droites et des perpendiculaires dans les collines. Sans la moindre nuance. Sans chercher à s'adapter au relief. Droit devant. Résultat : l'architecture
est, elle, toute d'irrégularité. J'imagine la maison moyenne basse de plafond sur les hauteurs et sur le bas de plusieurs étages. Et puis devant ses avenues creusées comme des sillons, on a fait
la balance. Beaucoup de rondeurs. Quand la rondeur est difficile on l'imite par de petits hexagones qui forment une avancée sur la rue. On s'est vengé ainsi des tracés au forceps sur les
collines. Il n'y a pas de maison carrée. Et quand elles le sont, c'est un assemblage de cubes de taille variée. Les gratte-ciel eux-mêmes ne sont pas taillés au carré. Le plus connu de San
Francisco est une pyramide, très longue et étroite, presque parfaite. Le plus étrange dans cette ville c'est l'effet kaléidoscopique de son relief. Difficile de repérer la forme des collines sous
le découpage des avenues. Les montées et les descentes sont les multiples facettes du kaléidoscope géant de San Francisco. Lorsque l'on croit avoir fini de descendre. Encore. Ici, au détour d'une
rue, alors que tout invite à la descente, une montée surgit pour grimper une nouvelle colline. La mer est le seul repère face au relief. Les rues offrent des ondulations. Le roulis de la voiture,
traversant la ville, épouse grâce à ses amortisseurs, les ondoiements. Au volant, la ville balance. Par moments les policiers semblent en jouer. Avant d'arriver sur les replats, ils actionnent
leurs sirènes. Privilège de la maréchaussée ou frime gratuite de l'uniforme ? Nul ne sait, ils passent avec leur voiture insolente de ses multiples feux.
Nous garons la voiture dans un parking. La voiture penche dans la
place étroite qui lui est dévolue. La porte m'échappe des mains et par malchance la voiture ne s'ouvre plus. Verrouillée avec la clef à l'intérieur ! Je suis très gêné face à mes compagnons.
Alain m'avouera que cet accident se produit fréquemment avec cette voiture (il a la même). Nous débarquons en plein dimanche chez un serrurier au cœur de Chinatown. « 55 $ pour vous l'ouvrir ».
Je ne réponds pas... « 50 $ ». J'accepte. On se croirait dans un film américain.
En 10 minutes l'affaire est terminée et nous déambulons dans
Chinatown. En pleine fête du nouvel an chinois ! J'imagine que tu marches à mes côtés, jeune fille amoureuse de ces quartiers. C'est la grande foule qui fait ses emplettes. Poissons frétillants
dans des bacs, crapauds agonisants, étalage de fruits abondants. Montréal n'est pas si loin. J'achète un kilogramme de pommes Fuji qui ressemblent furieusement à celle qu'une ondine m'avait
ramenée de Hong Kong. Une parade de masques de serpents défile dans la rue accompagnée de percussions. Ici, un violon chinois, une espèce de marteaux renversés, un fil qui va de la masse au haut
du manche. L'objet couine avec harmonie. Pour remonter dans les ruelles, nous prenons le cab. Un tramway authentique
tiré par câble, aux armatures de bois. Difficile à entretenir, ce
moyen de transport est néanmoins conservé pour son pittoresque. Souvent les passagers débordent du wagon et sont à l'extérieur sur les marchepieds. Nous descendons du cab au sommet de lombard
Street. Le point de vue est ici stratégique. On devine droit devant, l'île d'Alcatraz, la Coit tower (eh oui) à 90 degrés dans l'axe de la Lombard street. Comble du pittoresque, cette rue dédiée
en partie aux voitures est la seule à serpenter entre les maisons. La descente y est très raide. Un vrai plaisir pour les voitures qui se pressent sur le replat de départ. Nous continuons à
déambuler... San Francisco ne semble pas un eldorado. Au moins n'est-elle pas hypocrite dans ses apparences? Il ne semble pas y avoir des quartiers particulièrement rutilants. Ici les pauvres et
les autres se mélangent constamment. Ainsi nous décidons d'aller boire un verre au Marriott, le gratte-ciel le plus baroque de San Francisco offre un bar aux trente-neuvièmes niveaux. L'endroit
est sous une bulle de verre. Le verre à la main, dans des fauteuils feutrés on plonge le regard dans les scintillements de la ville. 18 heures. La nuit est tombée. Côté gratte-ciel une espèce de
doux vertige s'empare de vous devant la poignée de buildings qui semblent si près, derrière la vitre. De l'autre côté, moins couru, les maisons plates où la lumière semble se diluer dans la
brume. La rue qui mène à cet hôtel de luxe est sombre et particulièrement glauque en cette fin d'après-midi. Une poignée de sans-abri s'apprête auprès de matelas et couvertures... San Francisco
tire les rideaux !
2000